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Les Amertumes

Essai sur le rondeau

14 Octobre 2009 , Rédigé par Darius Hyperion Publié dans #Essais de poétique

Toute reproduction complète ou partielle de ces essais interdite sans mon autorisation.

Cet essai n'est pas figé. Toute proposition d'amélioration, de correction, d'ajout, sera considérée : laissez-moi un commentaire.

Un rondeau n’est pas seulement un petit poème naïf. Qui s'arrête à cet aspect du poème ne contemple que la goutte d’eau qui fait déborder l’océan. C'est dire que le rondeau, sous toutes ses formes, est bien plus qu’un petit poème ludique et facétieux.

I- Histoire

Il n'existe pas une, mais plusieurs formes de rondeaux : le triolet, le rondel, le rondeau. Chacune de ces formes est en effet issue de la précédente par une succession de codifications et marque une étape de la poésie en général. On remarquera que chacune de ces formes a porté au moment de son apparition le nom de rondeau ou rondel ; les terminologies actuelles sont bien plus tardives et sont pour le moins artificielles. Les mots rondel et rondeau sont en fait deux formes du même mot, c'est le même phénomène linguistique que l'on trouve dans beau/bel/belle, escabeau/escabelle, Isabeau/Isabelle.

Comme la ballade, le rondeau est à l'origine une chanson accompagnée de musique destinée à la danse. Le rondeau comporte alors deux vers répétés en refrains dans une strophe : c'est la forme que nous appelons aujourd'hui le triolet (appellation du XVIe siècle) et qui pourrait être une invention de Jean Froissart. Gilles Binchois et Guillaume de Machaut écrivirent et mirent en musique de nombreux rondeaux sous cette forme.

Il semble que ce soit Eustache Deschamps, disciple et peut-être neveu de Machaut, qui codifia à la fin du XIVe siècle la forme du rondeau connue aujourd'hui sous le nom de rondel. C'est cette forme qu'utilisent au XVe siècle Charles d'Orléans et François Villon. A cette époque, poésie et musique se sont séparées : en musique, le rondeau désigne un air dont le premier motif se répète au milieu et à la fin.

Durant la période des Grands Rhétoriqueurs, le rondeau, comme la ballade et bien d'autres formes, fut doublé : il existe désormais une forme de rondeau redoublé, que Clément Marot appelle rondeau parfait. Il semblerait que ce soit Jean Marot, rhétoriqueur et père de Clément, l'inventeur de cette forme (voir article de la revue Loxias). A la charnière des XVe et  XVIe siècle, la forme subit une nouvelle mutation : c'est le rondeau tel que nous le connaissons aujourd'hui et que pratiquent Roger de Collerye et Clément Marot.

Le rondeau, comme la ballade, le lai et les formes issues du Moyen Âge est condamné par les poètes de la Pléiade. Mais si la ballade et le lai ne s'en remirent jamais, le rondeau connut un âge d'or sous Louis XIII et Louis XIV avec les Précieux. Le maître du rondeau est alors Vincent Voiture qui écrit des petits poèmes pleins d’esprit. Signalons également Isaac de Benserade qui, sur demande de Louis XIV, traduisit en rondeaux les Métamorphoses du poète latin Ovide pour le Dauphin.

Le rondeau subit une nouvelle éclipse avant d'être redécouvert au XIXe siècle. Tristan Corbière publie ses « Rondels pour après » dans « Les Amours jaunes » en 1873, Théodore de Banville « Rondels » en 1875, après avoir décrit les diverses formes dans son « Petit Traité de poésie française » en 1872, Maurice Rollinat utilise les trois formes triolet, rondel, rondeau dans ses recueils « Dans les brandes » (l877) et « Névroses » (1883). Stéphane Mallarmé compte quelques rondels parmi ses poèmes, ainsi qu'Emile Nelligan, qui est un peu le Arthur Rimbaud canadien.

Le rondeau est aujourd'hui de nouveau éclipsé. Citons toutefois le recueil « Rondeaux » de Jacques Roubaud, publié en 2009 et destiné aux enfants.

II- La forme

Sous toutes ses formes, le rondeau s'écrit en octosyllabes ou en décasyllabes (4//6).  L'octosyllabe semble toutefois plus fréquent dans le triolet et le rondel, le décasyllabe dans le rondeau. Les poèmes sont isométriques. On trouve des exemples de rondeaux en alexandrins chez Emile Nelligan et Maurice Rollinat, ce dernier usant aussi parfois de l'ennéasyllabe, du décasyllabe 5//5 et de l'hendécasyllabe ; ces poèmes sont patauds et lourds, il y manque la légèreté des vers courts.

La particularité des poèmes de cette famille est d'avoir non pas un, mais plusieurs vers servant de refrains, ou un refrain incomplet.

Le rondeau-triolet ou triolet est construit sur deux rimes et comporte huit vers. Le premier vers revient en quatrième et septième vers. Le deuxième vers revient en huitième vers.

Un triolet a pour schéma canonique :
[A][B]A[A]AB[A][B]
où [A] et [B] marquent les vers refrains.

Il arrive dans d'anciens manuscrits que le triolet soit découpé en trois strophes selon :
[A][B] - A[A] - AB[A][B]
Ce qui expliquerait son évolution en rondel.

Le triolet n'est le plus souvent composé que d'une strophe unique de huit vers. Il est cependant possible de composer des poèmes plus longs en faisant se succéder plusieurs strophes sur le même schéma. Le nombre de strophes n'est pas fixé, mais il peut atteindre et dépasser largement la dizaine. D'une strophe à l'autre les rimes et les refrains changent.

Une succession de triolets s'écrira donc selon le schéma :
[A][B]A[A]AB[A][B] - [C][D]C[C]CD[C][D]  - [E][F]E[E]EF[E][F] - etc.

Le rondeau ancien ou rondel est constitué de trois strophes écrites sur deux rimes. Les deux premiers vers de la première strophes sont repris en derniers vers de la deuxième strophe. Le premier vers de la première strophe revient en outre en dernier vers de la troisième strophe.

Le rondel a pour schéma canonique :
[A][B]BA - AB[A][B] - ABBA[A]
où [A] et [B] marquent les vers refrains.

Il semblerait que le refrain du rondel ne soit pas réellement fixé, du moins se trouve-t-il des refrains tronqués dans des manuscrits et de vieilles éditions de poèmes du Moyen Âge (il est alors marqué etc. après ce refrain tronqué). Il arrive que seul le premier vers soit repris, voire seulement un rentrement, à l'instar de la forme postérieure du rondeau dit "nouveau". Est-ce un soucis d'économie, le copiste ou l'éditeur supposant que, la forme étant connue de tous, il n'est pas nécessaire de réécrire tout le refrain ? Certains chercheurs en débattent, d'autant que l'absence de ponctuation dans les plus vieux écrits permet de nombreuses interprétations du sens. En tous cas, cela expliquerait le passage du rondel au rondeau. Clément Marot emploie un rentrement dans ses rondels, sans équivoque possible puisque la reconstitution complète des vers tronqués fait perdre tout sens à la phrase (il n'écrit pas etc.).

Le rondeau nouveau ou rondeau est lui aussi constitué de trois strophes sur deux rimes. Sa particularité est d'avoir un refrain incomplet, appelé rentrement, constitué par le début du premier vers de la première strophe.

Le rondeau a pour schéma canonique :
[A]ABBA - AAB[a] - AABBA[a]
où [a] est le rentrement tiré du vers [A].

Le rentrement est constitué du début du premier vers du rondeau. La quantité de syllabes de ce rentrement n'est pas fixée lorsque le vers est un octosyllabe, mais il ne s'agit en aucun cas d'un vers entier ; pour le décasyllabe, le rentrement est constitué du premier hémistiche du premier vers (4 syllabes). D'autre part, le rentrement ne constitue pas un vers et ne rime pas, il ne répond donc pas à la règle d'alternance des genres des rimes féminines et masculines : il peut indifféremment être du même genre ou du genre opposé à celui du vers qui le précède.

Le rondeau redoublé ou rondeau parfait a pour particularité d'avoir quatre refrains. En effet, les quatre vers de la première strophe reviennent successivement en dernier vers des quatre strophes suivantes. Les quatre strophes centrales du rondeau redoublé constituent en quelque sorte une glose du quatrain initial. Enfin, une sixième et dernière strophe est complétée par un rentrement pris au tout premier vers du poème.

Le rondeau redoublé s'écrit selon le schéma canonique :
[A*][B*][A**][B**] - BAB[A*] - ABA[B*] - BAB[A**] - ABA[B**] - BABA[a*]

III - Le fond

Boileau, dans L’Art poétique chant II, écrit de façon laconique « Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté. »

Les rondeaux sont en effet des poèmes légers par leur structure. Cette légèreté provient des vers courts (octosyllabes le plus souvent) et de la reprise des refrains à intervalles très proches qui ne permet pas de longs développement de la phrase. De plus, le travail sur deux rimes dans toutes ces formes peut, comme dans le cas de la ballade, virer rapidement aux « bouts-rimés ».

Il ne faut toutefois pas confondre forme et thème. Les rondels d’Orléans et de Villon nous montrent que la légèreté de la forme n’empêche en rien un sujet grave et inspiré : le temps qui passe, la nostalgie, la mort, sont des thèmes profonds qui conviennent au rondeau aussi bien que les plaisanteries d’un Voiture ou d’un Benserade. En cela je m’inscris en faux par rapport à Banville et Dorchain qui ne retiennent que le côté facétieux du rondeau précieux, voire sa naïveté selon le mot de Boileau. Le vers de ce dernier tendrait même à lui donner un côté « gaulois » qui, si nous l’interprétons avec tous les sous-entendus de ce terme, pourrait pousser ce pauvre rondeau sur des pentes bien savonneuses. Il n’en est rien. Le rondeau peut aborder tous les thèmes, et la poésie lyrique peut y prendre sans difficulté tout son essor.

Plus que dans le sonnet peut-être, le poète doit y faire preuve de concision et de précision. Comme pour la ballade, la présence de refrains ne doit pas paraître comme une contrainte, mais comme une façon d’exprimer un thème de plusieurs manières qui invariablement convergent l’une vers l’autre. Le retour du refrain doit donc se faire logiquement dans le déroulement du poème et non par un placage brutal et inopportun. C’est ici que le poète fera ses preuves : en utilisant toutes les possibilités, nuances, subtilités de la langue.

On notera avec quel art Voiture travaille ses refrains, qui prennent un sens différent à chaque occurrence. Sans aller jusque là, on notera dans le rondel de Villon donné plus loin (Mort, j’appelle de ta rigueur) l’interprétation du refrain qui est donnée par les chercheurs (rappelons que, par manque de ponctuation dans les écrits du Moyen Âge, la reconstitution de celle-ci est toujours sujette à caution). Dans le premier vers Mort est le sujet de la phrase, dans la seconde strophe c’est une question, dans la troisième, une exclamation.

En conclusion, le rondeau est certes un petit bijou d’orfèvrerie, mais son éclat n’en est pas moindre que celui d’un sonnet. C’est un concentré de technique, un mécanisme encore plus précis, une marge d’erreur encore plus réduite. Quant au thème, le rondeau n’est pas qu’un poème naïf ; il a montré à de nombreuses reprises que tous les thèmes lui conviennent, et pas seulement les mots d’esprits.

IV - Ceci est un rondeau

Jean Froissart - (Triolets)

Tant crain Refus que je n’ose aprochier
Celle qui est ma santé et ma vie
Or me convient fuïr ce que j’ai chier :
Tant crain Refus que je n’ose aprochier.
Si me fault il passer par ce dangier :
Or prie Amours qu’il me soit en aïe ;
Tant crain Refus que je n’ose aprochier
Celle qui est ma santé et ma vie. 

---

Mon coer s’esbat en oudourant la rose,
Et s’esjoïst en regardant ma dame :
Trop mieulz me vault l’une que l’autre cose ;
Mon coer s’esbat en oudourant la rose,
L’odour m’est bon, mais dou regart je n’ose
Jeuer trop fort, je le vous jur par m’ame.
Mon coer s’esbat en oudourant la rose,
Et s’esjoïst en regardant ma dame

Guillaume de Machaut – Rondeaux (Triolets)

(en heptasyllabes)
Doulz viaire gracieus,
De fin cuer vous ay servy.
Weillies moy estre piteus,
Doulz viaire gracieus
Se je sui un po honteus
Ne me mettes en oubli :
Doulz viaire gracieus,
De fin cuer vous ay servy.

---

Quand Colette Colet colie          (cajole)
Elle le prend par le colet.           (le cou)
Mais c'est trop grant mélancolie,
Quand Colette Colet Colie.
Car ses deux bras à son col lie
Par le doux semblant de colet.   (en manière d’un doux collier)
Quand Colette Colet colie,
Elle le prend par le colet.

Théodore de Banville - Les Cariatides - Triolet, à Philis

Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.
Ces voiles, j’en aurais la clé
Si j’étais le Zéphyr ailé.
Près des seins pour qui je brûlai
Je me glisserais dans la couche.
Si j’étais le Zéphyr ailé,
J’irais mourir sur votre bouche.

Alphonse Daudet - Les Amoureuses - Les Prunes (triolet)

De tous côtés, d'ici, de là,
Les oiseaux chantaient dans les branches,
En si bémol, en ut, en la,
De tous côtés, d'ici, de là,
Les près en habits de gala
Etaient pleins de fleurettes blanches.
De tous côtés, d'ici, de là,
Les oiseaux chantaient dans les branches,

Fraîche sous son petit bonnet,
Belle à ravir, et point coquette,
Ma cousine se démenait,
Fraîche sous son petit bonnet.
Elle sautait, allait, venait,
Comme un volant sur la raquette :
Fraîche sous son petit bonnet,
Belle à ravir, et point coquette,

Arrivée au fond du verger,
Ma cousine lorgne les prunes ;
Et la gourmande en veut manger,
Arrivée au fond du verger.
L'arbre est bas ; sans se déranger
Elle en fait tomber quelques-unes.
Arrivée au fond du verger,
Ma cousine lorgne les prunes ;

Elle en prend une, elle la mord,
Et me l'offrant: "Tiens" me dit-elle.
Mon pauvre cœur battait si fort;
Elle en prend une, elle la mord.
Ses petites dents sur le bord
Avaient fait des points de dentelle...
Elle en prend une, elle la mord,
Et me l'offrant: "Tiens" me dit-elle.

Ce fut tout, mais ce fut assez;
Ce seul fruit disait bien des choses;
(Si j'avais su ce que je sais!)
Ce fut tout, mais ce fut assez.
Je mordis, comme vous pensez,
Sur la trace des lèvres roses:
Ce fut tout, mais ce fut assez;
Ce seul fruit disait bien des choses.

Oui, Mesdames, voilà comment
Nous nous aimâmes pour des prunes:
N'allez pas l'entendre autrement.
Oui, mesdames, voilà comment.
Si parmi vous pourtant, d'aucunes
Le comprenaient différemment,
Ma foi, tant pis ! voilà comment
Nous nous aimâmes pour des prunes.

Charles d'Orléans - (Rondel)

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et  de pluye,
Et s'est vestu de brouderie
De soleil luyant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !
[De vent, de froidure et  de pluye !]

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d'argent, d'orfavrerie,
Chascun s'abille de nouveau :
Le temps a laissié son  manteau.

François Villon - (Rondel)

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ? [j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie]

Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort ! [j'appelle de ta rigueur]

Maurice Rollinat - Les Névroses - Le Vent d'été (Rondel)

Le vent d'été baise et caresse
La nature tout doucement :
On dirait un souffle d'amant
Qui craint d'éveiller sa maîtresse.

Bohémien de la paresse,
Lazzarone du frôlement,
Le vent d'été baise et caresse
La nature tout doucement.

Oh ! quelle extase enchanteresse
De savourer l'isolement,
Au fond d'un pré vert et dormant
Qu'avec une si molle ivresse
Le vent d'été baise et caresse.

Roger de Collerye - (Rondel - Rondeau)

Cessez, cessez, gendarmes et piétons,
De pilloter et manger le bon homme
Qui de longtemps Jacqu' Bon-Homme se nomme,
Duquel blés, vins, et vivres achetons.

D'autant que nous et lui vous souhaitons
La corde au col, et que mort vous assomme,
Cessez, cessez, gendarmes et piétons,
De pilloter et manger le bon homme.

Gages en or, en monnaie, et testons
Du Roi avez en assez bonne somme ;
Puisque par vous l'on perd repos et somme,
Et que du rang des méchants vous mettons,
Cessez, cessez, gendarmes et piétons.

---

D'ung tel ennuy que je souffre et endure,
Femme, fleur, fruyt, ne plaisante verdure,
Ne me sçauraient nullement resjouyr ;
Faulte d'Argent me faict esvanouyr ;
Jà long temps a que ce malheur me dure.

Bource sans croix n'est que toute froidure,
Mon corps en est, de dueil, plain de laidure,
Et faict mon cueur et mes yeux esblouyr,
            D'ung tel ennuy.

Nul ne m'en croit, supposé que j'en jure ;
Contraint je suis d'endurer s'on m'injure ;
Et qui pis est, on ne me veult ouyr.
Voyant cecy, j'ayme mieulx m'enfouyr
Que me monstrer, en povreté, parjure
            D'ung tel ennuy.

Vincent Voiture - (Rondeaux)

Ou vous savez tromper bien finement,
Ou vous m’aimez assez fidèlement,
Lequel des deux je ne le saurais dire ;
Mais cependant je pleure et je soupire,
Et ne reçois aucun soulagement.

Pour votre amour j’ai quitté franchement
Ce que j’avais acquis bien sûrement ;
Car on m’aimait et j’avais quelque empire
            Où vous savez.

Je n’attends pas tout le contentement
Qu’on peut donner aux peines d’un amant,
Et qui pourrait me tirer de martyre.
À si grand bien mon courage n’aspire ;
Mais laissez-moi vous toucher seulement
            Où vous savez.

---

Tout beau corps, toute belle image,
Sont grossiers auprès du visage
Que Philis a receu des Cieux.
Sa bouche, son ris, & ses yeux,
Mettent tous les coeurs au pillage.

Sa gorge est un divin ouvrage,
Rien n'est si droit que son corsage
Enfin elle a, pour dire mieux,
            Tout beau.

Parmy tout ce qui plus m'engage,
Est un certain petit passage,
Qui vermeil et delicieux :
Mais ce secret est pour les Dieux,
Ma plume, changeons de langage :
            Tout beau.

Clément Marot - Rondeau parfaict - A ses Amys après sa délivrance.

En liberté maintenant me pourmaine,
Mais en prison pourtant ie fuz cloué:
Voyla comment fortune me demaine.
C'est bien, & mal. Dieu soit du tout loué.

Les Envieux ont dit que, de Noué,
N'en sortiroys: que la Mort les emmaine.
Maulgré leurs denz le nœud est desnoué:
En liberté maintenant me pourmaine.

Pourtant, si i'ay fasché la Court Rommaine,
Entre meschans ne fuz oncq alloué:
Des bien famez i'ay hanté le dommaine,
Mais en prison pourtant ie fuz cloué.

Car aussi tost que fuz desadvoué
De celle la qui me fut tant humaine,
Bien tost après à sainct Pris fuz voué:
Voyla comment fortune me demaine.

J'eus à Paris prison fort inhumaine:
A Chartres fuz doulcement encloué:
Maintenant voys, ou mon plaisir me maine.
C'est bien, & mal. Dieu soit du tout loué.

Au fort, Amys, c'est à vous bien ioué,
Quand vostre main hors du parc me ramaine.
Escript, & faict d'ung cueur bien enioué,
Le premier iour de la verte sepmaine,
                     En liberté.

V - Ceci n'est pas un rondeau

Nous regroupons ici un certain nombre d'irrégularités en regard des formes canoniques vues ci-dessus.

Emile Nelligan - Rondel à ma pipe
rimes de la deuxième strophe inversées BA[A][B] au lieu de AB[A][B]
rimes de la dernière strophe inversées BAAB[A] au lieu de ABBA[A]

Les pieds sur les chenets de fer
Devant un bock, ma bonne pipe,
Selon notre amical principe
Rêvons à deux, ce soir d'hiver.

Puisque le ciel me prend en grippe
(N'ai-je pourtant assez souffert ?)
Les pieds sur les chenets de fer
Devant un bock, rêvons, ma pipe.

Preste, la mort que j'anticipe
Va me tirer de cet enfer
Pour celui du vieux Lucifer ;
Soit ! nous fumerons chez ce type,
Les pieds sur les chenets de fer.

Emile Nelligan - Potiche
rondel en alexandrins
rimes de la dernière strophes inversées BAAB[A] au lieu de ABBA[A]
premier vers refrain modifié à sa reprise en tout dernier vers

C'est un vase d'Egypte à riche ciselure,
Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés:
De profil on y voit, souple, les reins cambrés,
Une immobile Isis tordant sa chevelure.

Flamblantes, des nefs d'or se glissent sans voilure
Sur une eau d'argent plane aux tons de ciel marbrés:
C'est un vase d'Egypte à riche ciselure
Où sont peints des sphinx bleus et des lions ambrés.

Mon âme est une potiche où pleurent, dédorés,
De vieux espoirs mal peints sur sa fausse moulure;
Aussi j'en souffre en moi comme d'une brûlure,
Mais le trépas bientôt les aura tous sabrés ...
Car ma vie est un vase à pauvre ciselure.

Charles Cros - Le Collier de Griffes - Triolets fantaisistes
La structure de la deuxième moitié de strophe est inversée, en particulier les deux vers refrains sont inversés [A][B]A[A]BA[B][A] au lieu de [A][B]A[A]AB[A][B]
à la dernière strophe, dernier vers modifié par rapport au premier
Au moins Cros a-t-il prévenu des libertés prises avec la forme dans le titre !

Sidonie a plus d'un amant,
C'est une chose bien connue
Qu'elle avoue, elle, fièrement.
Sidonie a plus d'un amant
Parce que, pour elle, être nue
Est son plus charmant vêtement.
C'est une chose bien connue,
Sidonie a plus d'un amant.

Elle en prend à ses cheveux blonds
Comme, à sa toile, l'araignée
Prend les mouches et les frelons.
Elle en prend à ses cheveux blonds.
Vers sa prunelle ensoleillée
Ils volent, pauvres papillons.
Comme, à sa toile, l'araignée
Elle en prend à ses cheveux blonds.

Elle en attrape avec les dents
Quand le rire entr'ouvre sa bouche
Et dévore les imprudents.
Elle en attrape avec les dents.
Sa bouche, quand elle se couche,
Reste rose et ses dents dedans.
Quand le rire entr'ouvre sa bouche
Elle en attrape avec les dents.

Elle les mène par le nez,
Comme fait, dit-on, le crotale
Des oiseaux qu'il a fascinés.
Elle les mène par le nez.
Quand dans une moue elle étale
Sa langue à leurs yeux étonnés,
Comme fait, dit-on, le crotale
Elle les mène par le nez.

Sidonie a plus d'un amant,
Qu'on le lui reproche ou l'en loue
Elle s'en moque également.
Sidonie a plus d'un amant.
Aussi, jusqu'à ce qu'on la cloue
Au sapin de l'enterrement,
Qu'on le lui reproche ou l'en loue,
Sidoine aura plus d'un amant.

Tristan Corbière - Les Amours jaunes - Rondels pour après - Rondel
Décasyllabes à coupe 5//5
refrain incomplet et inversion des rimes dans la deuxième strophe BA[A]  au lieu de AB[A][B]
refrain d'un seul vers dans la deuxième strophe

Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !
Il n'est plus de nuits, il n'est plus de jours ;
Dors... en attendant venir toutes celles
Qui disaient : Jamais ! Qui disaient : Toujours !

Entends-tu leurs pas ?... Ils ne sont pas lourds :
Oh ! les pieds légers ! – l'Amour a des ailes...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !

Entends-tu leurs voix ?... Les caveaux sont sourds.
Dors : Il pèse peu, ton faix d'immortelles :
Ils ne viendront pas, tes amis les ours,
Jeter leur pavé sur tes demoiselles...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !

VI- Références

Livres
Mille et cent ans de poésie française, B. Delvaille, Ed. Robert Laffont
Petit traité de poésie française, Rondel p163, Th. de Banville - Gallica
Petit traité de poésie française, Rondeau p179, Th. de Banville - Gallica
Petit traité de poésie française, Triolet p186, Th. de Banville - Gallica
L'Art des vers, Triolet p365, Auguste Dorchain - Gallica
L'Art des vers, Rondel et Rondeau p366, Auguste Dorchain - Gallica

Internet
Rondels de Nelligan
Rondeaux de Banville
Rondeaux de Voiture


Et mes propres poèmes
Mes rondeaux

 

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S
<br /> <br /> Je poursuis ma visite chez vous : j'essayerai d'en composer un, c'est vraiment très délicieux comme exercice, j'aime beaucoup les rondeaux. Bonne journée. Stella<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
D
<br /> <br /> Si vous avez besoin d'aide, vous savez où me trouver...<br /> <br /> <br /> A bientôt<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Bonjour,<br /> Très très intéressant et enrichissant, je ne saurai mieux dire qu'Hanternoz ! Votre blog est une véritable école !!!<br /> <br /> NH<br /> <br /> <br />
Répondre
D
<br /> Merci<br /> <br /> <br />
H
<br /> Bonsoir.<br /> Ce blog est une source précieuse!<br /> Je le parcours régulièrement avec beaucoup d'attention et de plaisir.<br /> Bonne soirée.<br /> <br /> <br />
Répondre
D
<br /> Je tente de faire partager ma passion et mes connaissances.<br /> Si cela vous intéresse, j'en suis heureux.<br /> Merci de votre passage et de votre commentaire<br /> <br /> <br />