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Les Amertumes

Essai sur la diérèse et la synérèse

15 Juillet 2015 , Rédigé par Darius Hyperion Publié dans #Essais de poétique

Préambule      (Retour au sommaire)

On ne peut mieux résumer le problème de la diérèse et de la synérèse que ne le fait Banville dans son petit traité de poésie :

« Il est indispensable, pour la versification, de savoir quand plusieurs voyelles qui se suivent forment ou ne forment pas diphtongue et doivent par conséquent se prononcer en une ou en plusieurs syllabes. Mais ici nous marchons sur un terrain brûlant, car à vrai dire LA RÈGLE N'EST NULLE PART ; il faut s'en rapporter à ce fantôme masqué qu'on nomme USAGE et qui a autorisé tant de niaiseries et tant de crimes !  »
(Théodore de Banville, Petit Traité de poésie française)

En annexes sont donnés des tableaux résumant cet usage.

1- Introduction      (Retour au sommaire)

diérèse : nom féminin, du grec diairesis, division. Dans un mot, prononciation en deux syllabes d'une séquence de deux voyelles contigües sans consonne interposée.

synérèse : nom féminin, du grec sunairesis, rapprochement. Dans un mot, fusion en une seule syllabe de deux voyelles contigües sans consonne interposée.

Dans une diérèse, les deux voyelles restent prononcées sans déformation. Ainsi dans nu-age, entend-on un [u] suivi d'un [a] : [nu-a-j']. La diérèse provoque donc un hiatus. En revanche, dans une synérèse, la première voyelle est déformée et devient une semi-consonne. Ainsi dans serions entend-on un [y] (et non un [i]) suivi d'un [on] : [se-ryon]. La synérèse provoque donc l'apparition d'une diphtongue.

Dans le langage courant, certains mots peuvent changer de prononciation selon une quantité indéterminée de facteurs : on peut par exemple prononcer tueur en 1 (tueur) ou 2 (tu-eur) syllabe(s) selon la rapidité d'élocution. Or, la versification française étant basée essentiellement sur le nombre de syllabes des vers, il est important de savoir dans un poème quand compter (et prononcer) une ou deux syllabes quand un mot comporte une suite de voyelles sans consonne interposée. Les poètes ont très tôt senti la nécessité de définir une norme pour le vers, tâche complexe n'ayant que partiellement abouti. Faute de règle absolue, il s'est néanmoins fixé un usage, comme le fait remarquer Banville.

Cet essai n'a pas pour but de régler ce problème insoluble, mais il compile l'usage tel que rapporté par divers traités de versification. Il est à noter que si nombre de mots ont une prononciation invariable dans toute l'histoire de la poésie française (par ex. les noms communs terminant par -ion formant diérèse comme questi-on, rati-on, li-on, compassi-on), certains mots ont vu leur nombre de syllabes varier (sanglier, ouvrier, désinences en ions et iez des verbes) et certains mots d'usage courant (hier, ancien) sont laissés à l'appréciation de l'auteur.

Il est certain que l'usage du vers en matière de synérèse et diérèse peut être différent de celui de la prose. La prose préfère la synérèse, aussi existe-t-il des décalages comme pour le mot hiatus : ce mot est couramment prononcé avec une synérèse et un h aspiré : le - hia-tus ; or la prononciation correcte de ce mot, encore reconnue par les dictionnaires, est la diérèse et l'h muet : l'hi-a-tus.

2- Quelques principes de base      (Retour au sommaire)

Il existe quelques principes, ou règles, qui permettent de comprendre la plupart des cas de diérèse et de synérèse de l'usage poétique. Comme toute règle digne de ce nom, celles-ci souffrent de nombreuses exceptions.

2-1 Règle 0 : l'étymologie      (Retour au sommaire)

2-1-1 Règle      (Retour au sommaire)

Comme pour le décompte de l'e muet, il serait faux de croire que le problème de la diérèse et de la synérèse est un problème contemporain. La dichotomie existant de nos jours entre le vers et la prose (prise dans le sens de langage courant), a toujours été, depuis les premiers balbutiements de notre langue. Aussi les poètes ont-ils dès la Renaissance senti le besoin de trouver une règle permettant de fixer le nombre de syllabes de chaque mot.

Une règle fut finalement édictée par Boileau, basée sur l'étymologie latine ou grecque : si les deux voyelles du mot français sont présentes dans l'étymon latin ou grec, il y a diérèse dans le mot français, dans le cas contraire il y a synérèse.

On trouve chez Marot le mot juif en diérèse dans ces décasyllabes :

Aucun ju-if pour tel faulte anci-enne
N'a siege, champ, ny maison, qui soit sienne
(Clément Marot, L’Adolescence clémentine, Les tristes vers de Philippe Beroalde, sur le jour du Vendredy Sainct)

La règle de Boileau redonne à ce mot une synérèse, conforme à l’étymologie latine Iudaei, comme dans cet alexandrin de Baudelaire :

Une nuit que j’étais près d’une affreuse juive,
(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Une nuit que j’étais près d’une affreuse juive)

Exemples de diérèses par étymologie :
- rati-on vient du latin ratio, rationis ;
- li-on vient du latin leo, leonis (le e devenant i) ;
- li-er vient du latin ligare (disparition du g et are devenant er) ;
- avou-er vient du latin advocare (disparition du c, o devenant ou et are devenant er) ;
- di-érèse vient du grec diairesis ;
- hi-atus vient du grec hiatus.

Exemples de synèses par étymologie :
- pied vient du latin pes, pedis ;
- dieu vient du latin deus ;
- fruit vient du latin fructus ;
- nuit vient du latin nox, noctis ;
- miel vient du latin mel.

On trouve miel avec diérèse dans ce décasyllabe de Louise Labé, avant Boileau donc :

Quelle grandeur rend l'homme vénérable ?
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ?
Qui est des yeux le plus emmi-elleur ?
Qui fait plus tôt une plaie incurable ?
(Louise Labé, sonnet XXI)

On remarquera que les quelques exemples d'étymologie donnés ci-dessus et dans ce qui suit ne sont pas toujours évidents. Il faut parfois avoir une connaissance poussée du latin ou du grec et de leur évolution pour produire le français si l'on veut comprendre la structure du mot français actuel. L'étymologie ne remonte pas toujours au latin classique, celui de Jules César par exemple, mais parfois au bas latin, celui de la fin de l'Empire romain et du Moyen Âge, voire, dans le cas du français, à une espèce de sabir pratiqué par les Francs lors de leur conquête de la Gaule, mêlant leur propre langue d'origine germanique au latin.

2-1-2 Exceptions      (Retour au sommaire)

Cette règle a le mérite d'être simple. Elle souffre toutefois d'exceptions sur certains mots courants, pour lesquels le retour à l'étymologie allait trop contre l'usage. Ainsi :

- chrétien forme une synérèse, quand son étymologie christianus voudrait une diérèse, il en va de même pour gardien, de guardianus. Chrétien est employé avec diérèse dans la Chanson de Roland au XIe siècle :

Si recevrai la chresti-ene lei,
(La Chanson de Roland, laisse VI, vers 85 - Bibliotheca augustana)
(Ainsi je recevrai la foi chrétienne)

En la citet nen ad remes paien
Ne seit ocis, u devient chresti-en.
(La Chanson de Roland, laisse VIII, vers 102 - Bibliotheca augustana)
(Dans la cité il ne reste aucun païen
Qui ne soit occis ou devenu chrétien.
)

Iço vus mandet Carlemagnes, li ber, (décasyllabes avec césure épique)
Que recevrez seinte chresti-entet ;
(La Chanson de Roland, laisse XXXIII, vers 431 - Bibliotheca augustana)
(Ici vous commande Charlemagne, le preux,
Que vous receviez la sainte chrétienté
)

Boileau usera de la synérèse :

De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornemens égayés ne sont point susceptibles
(...)
Ce n'est pas que j'approuve, en un sujet chrétien,
Un auteur follement idolâtre et pa-ïen.
(Nicolas Boileau, Art poétique, Chant III)

- sanglier, du latin singularis porcus, devrait former une synérèse, il forme une diérèse, de même ouvrier, du latin operarius. Comme nous le verrons plus bas (paragraphe 2-4), la synérèse dans ces mots est vraie jusqu'à Corneille, la diérèse est ensuite de rigueur,

- les désinences ions et iez des imparfait de l'indicatif et présent du conditionnel forment des synérèses, ils devraient former des diérèses. L'explication en est complexe et remonte au bas latin, non au latin classique.

- la diérèse dans fuir, que veut l'étymologie fugere, est d'usage jusqu'à la fin de la Renaissance :

Donques doy-je fu-ir l'ardeur de l'autre Dieu ?
(...)
Helas ! que j'ay en vain espanché mes discours !
Que j'ay fu-y en vain tous les autres Amours !
(Pontus de Tyard, Élégie d'une dame énamourée d'une autre Dame)

puis la synérèse devient normale :

Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inqui-ète,
(Théophile Gautier, Émaux et camées, Odelette anacréontique)

- diable, du latin diabolus, du grec diabolos, ne compte que pour deux syllabes, et non trois. Dans la Chanson de Roland, conformément à l'étymologie diable est de trois syllabes :

Di-ent alquanz que di-ables i meignent.
(La Chanson de Roland, laisse LXXVIII, vers 983 - Bibliotheca augustana)
(Certains disent que les diables y habitent.)

Chez Boileau diable est en deux syllabes :

Et quel objet, enfin, à présenter aux yeux
Que le diable toujours hurlant contre les Cieux,
(Nicolas Boileau, Art poétique, Chant III)

- oui, de oïl (en deux syllabes o-ïl), du latin hoc ille, devrait former une diérèse, il forme une synérèse :

O-ïl, Dame, ceo m'est mult bel. (octosyllabe)
(Marie de France, Le Frêne, vers 452)
(Oui, Madame, avec plaisir)

Oui, pour vous faire un choix où vous puissiez souscrire,
(Jean Racine, Britannicus, Acte II, scène 3, vers 575)

Historiquement, certains mots ont pu évoluer de la diérèse vers la synérèse, puis revenir vers la diérèse (et inversement) :

- les mots poètes, poèmes, poésie furent prononcés en synérèse avant la Renaissance. Ronsard qui utilisa la synérèse modifia toutefois nombre de ses vers pour corriger cette prononciation déjà en voie de disparition :

Si que les vers d'un pte furi-eus
Si qu'un po-ëte et ses vers furi-eus
(Cité par Louis Terreaux, Ronsard correcteur de ses oeuvres)

La règle de l'étymologie réintroduisit la diérèse, mais La Fontaine, qui aimait les archaïsmes, écrira encore au XVIIe siècle :

Les traits dans sa fable semés
Ne sont en l'ouvrage du pte
Ni tous ni si bien exprimés.
Sa louange en est plus complète.
(Jean de La Fontaine, Livre XII, fable 9, Le Loup et le Renard)

- le mot trahison connut la synérèse à la Renaissance :

Guenes y vint, qui la tra-ïsun fist
(La Chanson de Roland, laisse XII, vers 178
 - Bibliotheca augustana)
(Ganelon y vint, qui fit la trahison)

Or je m'en va dans la maison
Pour luy brasser quelque traison.
(Jean-Antoine de Baïf, Le Brave, Prologue, Acte I, scène 2, vers 435-436)

Lui qui me fut si cher et qui m'a pu tra-hir.
(Jean Racine, Andromaque, Acte II, scène 1)

Sur certains mots, l'usage n'est pas fixé :

- hier, du latin heri, est compté pour deux syllabes [i-èr] alors qu'il devrait former une synérèse ; en revanche il est bien compté pour une seule syllabe dans avant-hier (qui compte donc 3 syllabes),

- ancien, du latin ante, est laissé au choix de l'auteur : anci-en ou ancien,

Et, sur le charme pris aux splendeurs anci-ennes,
(Charles Cros, Le Coffret de santal, Sonnet)

Les anciens ont dit : il fallait se taire
Quand nous récitions, solennels, nos odes.
(Charles Cros, Le Collier de griffes, En Cour d'assise)

- on se rapportera enfin au traité de Banville dans lequel l'auteur n'est pas d'accord avec Victor Hugo quant au nombre de syllabes du mot liard, l'étymologie de ce mot étant d'ailleurs incertaine.

Par ailleurs, preuve que les meilleurs auteurs eux-mêmes font des fautes en ce domaine, dans son traité Banville classe l'adjectif niais comme une diérèse, comme l'utilise Hugo dans cet alexandrin :

J'ai disloqué ce grand ni-ais d'alexandrin.
(Victor Hugo, Les Contemplations, Quelques mots à un autre)

Mais Banville commet lui-même ce décasyllabe faux selon ce principe :

Elle est savante avec ses airs de niaise.
(Théodore de Banville, 36 Ballades joyeuses, IX - Ballade pour sa commère)

Selon l'étymologie latine nidax, il semblerait que Hugo ait raison, et donc Banville dans son traité, non dans sa ballade.

2-1-3 Néologismes      (Retour au sommaire)

Certains mots récents se prévalent d'une étymologie fictive, ce qui peut également contribuer à brouiller les pistes. Le mot avion par exemple, forgé en 1903 par Clément Ader sur base du mot latin avis signifiant oiseau, relève en fait d'un étymon fictif avio, avionis qui le rattache à la règle générale de diérèse des noms communs terminant par ion. Si l'étymon avis peut suggérer une synérèse, le mot avion compte bien pour trois syllabes, comme dans ces poèmes d'Apollinaire :

Français, qu'avez-vous fait d'Ader l'aéri-en ?
Il lui restait un mot, il n'en reste plus rien.
Quand il eut assemblé les membres de l'ascèse
Comme ils étaient sans nom dans la langue française
Ader devint poète et nomma l'avi-on.
(Guillaume Apollinaire, L'Avion)

Au-dessus de Paris un jour
Combattaient deux grands avi-ons
L’un était rouge et l’autre noir
Tandis qu’au zénith flamboyait
L’éternel avi-on solaire
(Guillaume Apollinaire, Alcools, Les Collines)

Le néologisme avion est basé sur le mot avis dont Ader a tiré la racine avi- à laquelle, en parfaite cohérence avec la langue latine et l'étymologie du français, il a accolé le suffixe -on comme pour les mots réellement issus du latin légion (legio, legionis), commission (commissio, commissionis), libération (liberatio, liberationis), scorpion (scorpio, scorpionis) : avion a donc pleinement sa place en diérèse à côté de ces mots.

Dans la même famille, et avec la même logique, le mot aviation, créé en 1863 par l'écrivain Gabriel de La Landelle sur base de avis et du suffixe -atio (comme dans les mots déviation, lévitation, continuation, perturbation), contient deux diérèses : avi-ati-on. Le même de La Landelle a également inventé le mot aviateur et le verbe avier, qui ne s'est pas imposé, signifiant voler avec un engin plus lourd que l'air : ces mots aussi auront une diérèse. On retrouve enfin la diérèse dans l'adjectif aviaire de la série des adjectifs terminant par iaire (fiduciaire, judiciaire, etc.), mais dans ce cas il existe un véritable étymon latin : aviarius. Ainsi le français a-t-il forgé de nouveaux mots par analogie avec d'autres mots réellement issus du latin et du grec ; ces néologismes doivent être classés dans les séries en regard desquelles ils ont été créés et non en fonction du mot latin ou grec dont ils ont été dérivés : avion a été crée à partir du mot latin avis par analogie avec tous les noms communs en -ion du français, il contient donc une diérèse et non une synérèse.

Enfin, l'application de cette règle renvoyant à l'étymologie est tout à fait problématique de nos jours, non pas pour des raisons de divergence complète du français par rapport à ses origines, mais plutôt par l'abandon de l'enseignement des langues anciennes à l'école (ce que l'on peut déplorer, mais qui est un état de fait) et par l'entrée dans le français de mots étrangers n'ayant aucune origine grecque ou latine (yatagan, mot turc, forme-t-il une synérèse ou une diérèse ? Faut-il faire l'élision sur l'article le précédant ? Faut-il dire le yatagan ou l'y-atagan ?).

2-2 Règle 1 : règle des familles de mots      (Retour au sommaire)

Cette règle se déduit de la règle étymologique : les mots d'une même famille suivent la même règle de synérèse et diérèse. Ainsi, ru-ine / ru-iner, inqui-et / inqui-étude, intenti-on / intenti-onnel forment une diérèse. Au contraire, je tiens / tu entretiens / il maintient / ils contiennent, un soutien, un maintien forment une synérèse.

Logiquement, lorsqu'un mot est dérivé d'un verbe se terminant par une diérèse à l'infinitif, ce mot forme aussi diérèse. La première conséquence en est que les formes conjuguées de ce verbe forment également une diérèse : colori-er, d'où nous colori-ons, ils colori-èrent, colori-é, colori-ant... La seconde conséquence se retrouve dans les mots (noms communs, adjectifs, adverbes, ...) apparentés à ces verbes : par exemple, le verbe mari-er forme une diérèse, aussi le mari-age, la mari-ée forment-ils aussi diérèse ; de même plagi-er implique-t-il plagi-at, plagi-aire, ou encore rémédi-er, irrémédi-able ; associ-er, soci-été, associ-able, soci-alement, soci-al, associ-ati-on, désoci-alisé.

Cette règle souffre également d'exceptions : les mots bruit, bruire, bruissement dérivent tous du latin brugere, or bruit forme synérèse, quand bru-ire et bru-issement forment diérèse, d'après Théodore de Banville. On trouve chez les poètes de la Pléiade bruire en synérèse :

J'ay sous l'esselle un carquois
Gros de flèches non pareilles
Qui ne font bruire leurs vois
Que pour les doctes oreilles
(Pierre de Ronsard, Premier Livre des Odes, Ode 3)

Loir, dont le cours heureus distille
Au sein d’un païs si fertile,
Fai bruire mon renom
D’un grand son en tes rives,
(Pierre de Ronsard, Quatrième Livre des Odes, Ode 6)

et Théophile Gautier emploie les deux formes :

Laissant bru-ire sur nos têtes,
La mer qui ne peut s'apaiser,
(Théophile Gautier, Émaux et camées, Cærulei oculi)

Sombre, il entend le monde obscur,
Et la vie invisible bruire
(Théophile Gautier, Émaux et camées, L'Aveugle)

2-3 Règle 2 : règle des préfixes et des suffixes      (Retour au sommaire)

Autre conséquence de la règle étymologique, un préfixe finissant par une voyelle (ex. pré-) ou un suffixe commençant par une voyelle (ex. -ité) formeront des diérèses avec des mots respectivement commençant et finissant par une voyelle. Par exemple, dioxyde est formé du préfixe di et du nom oxyde, il y a donc diérèse di-oxyde ; de même ambiguïté est formé de l'adjectif ambigu et du suffixe ité, il y a donc diérèse ambigu-ïté.

Cette règle souffre d'exceptions : miette (de mie) et assiette, par exemple, forment des synérèses, contrairement à histori-ette et joli-ette, tous ces mots étant pourtant construits avec le diminutif ette.

Je suis donc un Sot ? Moi ? vous en avez menti :
Reprend le capagnard, & sans plus de langage,
Lui jette, pour deffi, son assiette au visage.
L'autre esquive le coup, & l'assiette volant
S'en va fraper le mur, & revient en roulant.
(Nicolas Boileau, Satire III)

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
(Jean de La Fontaine, La Cigogne et le renard)

Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies
La face du Seigneur se détourne de vous.
(Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, Pour les pauvres)

Tu veux que j'achète pour toi
Une ceinture verdelette
Et une bague joli-ette
Pour en orner ton petit doi
(Pierre de Ronsard, Les Dons de Jaquel à Isabeau)

2-4 Règle 3 : règle C+l/r      (Retour au sommaire)

Le cas de mots tels que sanglier, bouclier, ouvrier, meurtrier, dans lesquels les consonnes r ou l sont précédées d'une autre consonne est intéressant. Selon la règle étymologique, ces mots forment des synérèses. On trouve par exemple, au XIIIe siècle chez Rutebeuf :

Ci at fol ov-rier et fole euvre                Fol ouvrier, folle œuvre
Qui par ouvreir riens ne recuevre :       que ceux dont l'ouvrage ne peut rien recouvrer :
        Tout torne a perte,                                 tout tourne à perte,
Et la griesche est si aperte                      et la grièche est si habile
Qu' "eschac" dist "a la descouverte"     qu'elle dit : "Échec à la découverte",
        A son ouv-rier,                                     à qui en fait son travail ;
Dont puis n'i at nul recouv-rier.        après quoi, plus de recours.
Juignet li fait sembleir fev-rier :         Elle lui fait prendre juillet pour février :
        La dent dit "Quac"                                 la dent dit "Clac",
Et la griesche dit "Eschac".                     et la grièche dit "Échec".
(Rutebeuf, La Grièche d'été - traduction in Rutebeuf, Oeuvres complètes, Éd. le Livre de poche, coll. Lettres gothiques)

Ce fut le cas jusqu'à la Renaissance, ainsi Ronsard écrit-il ce décasyllabe :

D’un trait meurt-rier empourpré de son sang
(Pierre de Ronsard, Les Amours, Comme un chevreuil)

du Bellay cet alexandrin :

Ainsi chante l'ouv-rier en faisant son ouvrage
(Joachim du Bellay, Les Regrets, Vu le soin ménager dont travaillé je suis)

et Rémy Belleau encore un alexandrin :

La hure d'un sang-lier aux défenses meurd-rières
(Rémy Belleau, Les Pierres précieuses, L'Améthyste)

Louis Terreaux dans Ronsard correcteur de ses oeuvres, signale que Ronsard corrigea certains de ses vers pour faire disparaître la synérèse dans ces mots, sans aller toutefois jusqu'à user de la diérèse puisqu'il les remplace par d'autres mots :

D’un trait meurt-rier empourpré de son sang
D’un trait sanglant qui le tient en langueur
(Pierre de Ronsard, Les Amours, Comme un chevreuil)

À cette époque, des formes verbales comme devrions, sembliez, forment également des synérèses que l'on trouve toujours chez Molière :

Comme vous voud-riez bien, mani-er ses ducats ;
(L’Étourdi ou Les Contre-temps, Acte I, scène 2)

Et vous dev-riez mourir d’une telle infamie.
(Le Dépit amoureux, Acte V, scène 7)

Corneille compta le mot meurtrier en trois syllabes dans Le Cid :

Il est juste, grand roi, qu'un meurtri-er périsse.
(Pierre Corneille, Le Cid, Acte II, scène 8)

Ceci fut vivement critiqué à l'époque, notamment par l'Académie, je renvoie au passage du Traité de versification française de Quicherat sur cette affaire.

Toutefois, la diérèse finit par s'imposer. La règle qui en résulta est la suivante : lorsqu'une séquence de voyelles contigües est précédée de deux consonnes différentes, ou plus, dont la dernière est un l ou un r, il y a diérèse.

Cette règle crée quelques incohérences :
- à l'imparfait de l'indicatif vous aimiez forme une synérèse, vous sembli-ez une diérèse ;
- au conditionnel présent nous aimerions forme une synérèse, nous devri-ons une diérèse ;
- quatri-ème forme diérèse quand deuxme, troisme, cinqume, etc. forment synérèse.

Au début du XXe siècle, Apollinaire revint sur les formes anciennes en synérèses :

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semb-lions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon
(Guillaume Apollinaire, Alcools, La Chanson du mal aimé)

Cette règle ne s'applique que si les consonnes sont différentes : en cas de double r ou de double l :
- il y a diérèse pour les verbes (charri-er, alli-er) et donc leurs dérivés (charri-age, alli-é, ils alli-aient) ;
- et synérèse pour les noms communs et adjectifs (guerrier, verrier, collier, sellier), d'où synérèse également sur au féminin (guerrre, verrre).

D'autre part, cette règle ne s'applique pas lorsque les deux consonnes r et l se rencontrent mais ne font pas partie de la même syllabe, comme dans les verbes parler, ferler, perler, hurler, ourler et leurs composés. Par exemple, les formes par-lions et par-liez de l’imparfait de l’indicatif et du présent du subjonctif forment des synérèses.

Enfin, cette règle semble ne s'appliquer qu'aux diphtongues commençant par un i. On lui trouve des exceptions dans les diphtongues commençant par d'autres voyelles, comme : fruit, bruit, groin, trois, gloire, qui forment tous des synérèses.

3- Quelques règles d'emploi des diérèses      (Retour au sommaire)

3-1 Nombre de diérèses dans un vers      (Retour au sommaire)

Il faut garder à l'esprit qu'une diérèse forme un hiatus, or l'usage de l'hiatus est fortement contraint en versification. En conséquence, il est interdit de faire entrer plus de deux diérèses dans le même vers.

Va te purifi-er dans l'air supéri-eur
(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Élévation)

Malgré une probable recherche d'effet, la présence de ces diérèses à la césure et à la rime me semble tout à fait disgracieux. Le désagrément sonore des diérèses, et par extansion des hiatus, y est flagrant.

Le manuel de l'abbé Louis donné en référence cite ces vers parodiques de Delille dans lesquels le cumul de diérèses montre de façon flagrante le désagrément sonore de celles-ci, et par-delà de l'hiatus :

De la soci-été l'organisati-on
Pourrait stupéfi-er l'imaginati-on.
(Épître d'un jeune athénien)

3-2 La diérèse à la rime      (Retour au sommaire)

On trouve chez tous les grands auteurs des rimes alliant une diérèse et une synérèse.

Je vous trouve aujourd'hui l'âme tout inqui-ète,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette,
(Nicolas Boileau, les Satires, Satire III)

On remarquera néanmoins que la rime diérèse / synérèse n'est employée chez les grands auteurs que pour des mots en synérèse qui ne trouveraient que difficilement une rime (assiette pour cet exemple).

Les traités ne sont pas d'accord sur ces rimes, certains les acceptent, d'autres les rejettent, encore ce problème n'est-il pas toujours abordé. Je ne peux que déconseiller ce type de rime : une diérèse ne rime qu'avec une diérèse, l'accouplement diérèse / synérèse à la rime produisant souvent une rime pauvre, comme dans l'exemple suivant où le seul son commun entre les dernières syllabes des mots ray-ons et révoluti-ons est [on], et entre graci-eux et a-ïeux, est [eu] :

Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
Étouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
Car la foule est le peuple, et d'une comédie
Peut jaillir l'étincelle aux livides rayons
Qui met le feu dans l'ombre aux révoluti-ons. -
Puis il ni-ait l'histoire, et, quoi qu'il puisse en être,
À ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
L'accueillant bien d'ailleurs, bon, royal, graci-eux,
Et le questi-onnant sur ses propres a-ïeux.
(Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, Le Sept Août 1829, II)

Il semblerait toutefois que la prononciation d'une diérèse puisse engendrer la création d'une semi-voyelle. Ainsi révolution se prononcerait révoluti-yon, qui rimerait donc correctement avec ra-yon, de même que graci-yeux avec a-ïeux. Cela reste particulièrement inélégant à mon avis. Aïeux rime bien mieux avec yeux, puisque la syllabe rimant contient une semi-consonne en plus de la voyelle : la rime est en [yeu]. Cela ne rend pas la rime suffisante pour autant, l'appui n'étant pas réellement une consonne pleine. Une rime en [yeu] est intermédiaire entre une rime pauvre et une rime suffisante, pour moi elle est pauvre.

4- Quelques idées fausses sur la diérèse et la synérèse      (Retour au sommaire)

Il est faux de définir la diérèse en tant que prononciation "poétique" par opposition à la synérèse qui serait la prononciation "prosaïque", "habituelle" ou encore "normale" d'un mot. Les mots po-ète, pri-ère, bi-ologie, di-érèse contiennent des diérèses dans la prononciation courante, la diérèse est donc la "norme" pour ces mots, que ce soit dans un vers ou en prose. Diérèse et synérèse relèvent de la phonétique et non de la poésie ou de la prose, même si dans certains cas les deux divergent (pour les mots finissant par -tion par exemple). La diérèse n'est donc pas une figure de style, pas plus d'ailleurs que la synérèse.

L'usage de la diérèse ou de la synérèse n'est pas laissé au choix de l'auteur, mais relève d'un usage bien établi et quasi immuable. Il n'y a guère qu'à partir du XXe siècle que des poètes comme Paul Valéry, qui pratique encore le vers régulier, ne respectent plus cet usage. Paul Valéry justifiait le vers suivant :

Si l'or triste interroge un ti-ède contour...
(Paul Valéry, Album de vers anciens, Anne)

en précisant qu'il appliquait la diérèse au mot tiède, contre l'usage du vers qui voudrait une synérèse, « pour donner une impression plus voluptueuse ». Cet argument est défendable, selon J. Mazaleyrat :

« La diérèse étale, déroule plus largement le mot sur le vers ; la synérèse le fait passer plus vite, à la manière de la prose. La diérèse, dans la diction conservatrice et ralentie qu’elle implique, épanouit le mot et le solennelise, tantôt avec noblesse, tantôt avec douceur. La synérèse l’abrège et le durcit. »
(Jean Mazaleyrat, Éléments de métrique française, Albin Michel)

Une telle analyse appliquée à des vers antérieurs au XXe siècle est un anachronisme. Ainsi dans les vers suivants :

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souri-ant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
(Arthur Rimbaud, Le Dormeur du Val)

la diérèse souri-ant semble-t-elle renforcer par son effet sonore lent l'impression générale de douceur du personnage dormant décrit par la phrase. Mais cette diérèse ne relève pas d'un choix de l'auteur, car Rimbaud respecte l'usage qui veut que souriant compte pour 3 syllabes : la synérèse est encore pour lui inenvisageable. Le positionnement judicieux des diérèses et synérèses subies est aussi la marque d'un grand auteur.

Pour les auteurs contemporains qui, comme moi, ne respecteraient pas l'usage, lorsqu'il se trouve une hésitation entre la diérèse et la synérèse, la synérèse est préférable. En effet, il n'y a rien de plus désastreux que de trouver dans un vers un mot compté en diérèse quand l'usage a toujours été la synérèse aussi bien pour la prose que le vers, comme pour le mot juin dans ce vers d'Aragon :

Mai qui fut sans nu-age et ju-in poignardé
(Louis Aragon, Le Crève-coeur, Les Lilas et les roses)

La diérèse ici donne l'impression d'une erreur commise pour combler un manque de syllabe dans un vers qui sans elle serait boîteux.

5- Conclusions      (Retour au sommaire)

Nous avons vu que la pratique de la diérèse et de la synérèse dans le vers est donc, plus que celle de l'e muet, le résultat de l'évolution de la langue. Faute d'une règle absolue, malgré la règle étymologique de Boileau qui souffre de nombreuses exceptions, il s'est néanmoins fixé un usage résumé dans les tableaux des annexes.

Cet usage est en contradiction flagrante avec la chasse aux hiatus instaurée par Malherbe. De plus il entre souvent en contradiction avec l'usage de la prose. Rappelons encore une fois que vers et prose sont deux choses distinctes.

Tout auteur se réclamant du vers régulier (ce qui n'est pas mon cas !) devra respecter cet usage. A fortiori tout candidat à un concours de poésie.

6- Références      (Retour au sommaire)

Théodore de Banville, Petit traité de poésie française
Louis Quicherat, Petit traité de versification française
Auguste Dorchain, L'Art des vers
Abbé Louis, Manuel élémentaire de littérature française

Arthur Daxhelet, Manuel de littérature française
Anonyme, Cours de poésie, École des sciences et arts, Paris, 1946
Georges Lote, Histoire du vers français, tome VI

 

ANNEXES - Tableaux récapitulatifs      (Retour au sommaire)

Annexe 1 - Synérèses et diérèses commençant par A      (Retour au sommaire)

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - A

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - A

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - E

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - E

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - I
Darius Hyperion - diérèses / synérèses - I
Darius Hyperion - diérèses / synérèses - I

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - I

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - O

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - O

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - U

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - U

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - Y

Darius Hyperion - diérèses / synérèses - Y

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A
Bonjour, j'ignore si vous répondez encore aux commentaires comme l'article est ancien, mais je fais des recherches sur la diérèse et je n'ai pas fait latin. Je ne comprends donc absolument par pourquoi "dieu" n'a pas de diérèse. On prononce bien "de-us" en latin, non ?<br /> Pouvez-vous m'éclairer ? C'est le seul parmi vos exemples qui me parait totalement illogique (même si j'ai bien compris qu'il y avait synérèse)<br /> Merci
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L
Bonjour, je reviens sur "antiope" : chez Th. de Banville, il est en diérèse "Antiope blessée, haletante, épuisée," .... avec une grosse faute pour le "e" muet de "blessée" devant une consonne (le "h" aspiré de "haletante").
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D
L'Hiver<br /> <br /> Au bois de Boulogne, l'Hiver,<br /> La terre a son manteau de neige.<br /> Mille Iris, qui tendent leur piège,<br /> Y passent comme un vif éclair.<br /> <br /> Toutes, sous le ciel gris et clair,<br /> Nous chantent le même solfège ;<br /> Au bois de Boulogne, l'Hiver,<br /> La terre a son manteau de neige.<br /> <br /> Toutes les blancheurs de la chair<br /> Y passent, radieux cortège ;<br /> Les Antiopes de Corrège<br /> S'habillent de martre et de vair<br /> Au bois de Boulogne, l'Hiver.<br /> <br /> Théodore de Banville
D
Décidément, on ne peut pas leur faire confiance à ces grands devanciers !!!<br /> Merci pour vos recherches, c'est rare quelqu'un qui s'intéresse aux règles et qui lit de la poésie !
L
Bonjour, si Baudelaire fait autorité pour les règles diérese/synérèse alors il faudrait ajouter aux exceptions IO en 1 syllabe le mot "Antiope" ("Les bijoux) ainsi que pour IAN également 1 syllabe avec "ruffian" (sonnet " À Théodore de Banville"). Bravo pour votre site.
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D
Merci à vous d'y passer de temps en temps.
L
Bonjour et désolée du retard pour la réponse. En effet, on en perd son Latin ! MERCI pour votre site.
D
De rien
L
Merci...
D
Bonjour,<br /> Baudelaire n'est probablement pas un exemple à suivre, ni en matière de versification ou de rime, ni en matière de diérèse et synérèse. Du point de vue de l'étymologie effectivement il faudrait une diérèse quand Baudelaire fait une synérèse. Mais il faudrait confirmer ce point par d'autres auteurs.<br /> Merci pour votre visite
L
Bonjour,<br /> Je n'ai pas trouvé sur votre site la réponse à cette question : peut-on avoir la césure d'un vers sur le trait d'union d'un mot composé comme par exemple sur "ici-bas" ? Merci.
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D
De rien.
L
Merci.
D
Bonsoir,<br /> Par définition on ne met pas de mot, qu'il soit composé ou non, à cheval sur une césure. La réponse est donc non.<br /> Cordialement
H
Bonjour. S'agissant de l'exception en synérèse pour DIABLE, qu'en est-il s'il vous plaît de DIABLOTIN ? Vous confirmez aussi DIAblotin en synérèse ? MERCI.
Répondre
D
Bonsoir,<br /> Voir paragraphe 2-2 Règle 1 : règle des familles de mots <br /> Cordialement